Jean-Paul Proix peint comme il respire,

tranquillement, sereinement, voluptueusement. Il aime la vie, les femmes, le monde,
et cela se sent. Il aime la peinture et cela se voit. On est frappé d’abord par les sujets, par leur diversité (ces nus coquins, ces natures mortes millimétrées, ces paysages
à la fois évidents et mystérieux, comme entre réalisme et onirisme…) puis davantage par l’unité de l’œuvre et du regard. Simplicité des formes, matité des couleurs, économie du dessin et des volumes. Quelle force pourtant, quelle présence, quel raffinement! La matière est plane, presque dépouillée, et d’autant plus suggestive
peut-être. On reconnaît l’ancien élève de Léger, mais aussi celui qui est passé par l’abstraction, pour en sortir : le vocabulaire des formes redevient avec lui signifiant, mais sans bavardage, sans anecdote, avec quelque chose d’à la fois monumental
et très simple, qui en fait la poésie et la singularité. Peintre direct et franc, mais aussi absolument moderne, sans nostalgie, sans maniérisme, sans illusions. Il est de son temps : il peint pour ses contemporains, c’est sa façon à lui de peindre pour l’éternité.
Il peint les corps, les choses, le monde. C’est sa façon à lui de sauver l’esprit.
Peintre réaliste, voire matérialiste, mais au meilleur sens du terme. Celui-là a renoncé aux arrière-mondes, comme disait Nietzsche : le réel lui suffit. Il nous aide à le voir,
à le reconnaître, à l’aimer. La beauté n’est pas un idéal ; c’est une délectation,
c’est un bonheur, mais qui se mérite, c’est une conquête. Non ailleurs mais ici,
non plus tard mais maintenant : la vraie vie est présente. Splendeur des drapés, sensualité des corps, évidence des objets, immensité de la nature… On pense
à Francis Ponge, à son « parti pris des choses ». Mais c’est plutôt, chez Jean-Paul Proix, le parti pris du monde et de la vie. Sa peinture fait comme une leçon de sagesse, mais ce n’est pas une leçon : juste un exemple, et c’est la seule leçon qui vaille.



André Comte-Sponville 2002